C'est la 16e DI (et notamment le royal Suédois - le 89e RI) qui se prend de plein fouet le fer de lance Germanique, ce 5 Juin 1940, sur un front de Dury à Cagny, en passant par Saint Fuscien et Longueau.
Voici le témoignage du lieutenant Puissant, blessé au combat.
"Notre régiment, le 89e RI, formé à Sens, avec comme colonel, le lt Colonel Baudell (sic), avait séjourné jusqu’ici en Alsace, où il avait tenu les avant-postes sur la frontière près de Wissembourg, puis sur le Rhin à 15km au Nord de Strasbourg, enfin sur la Lauter. Aux derniers jours de Mai, notre ligne d’avant-postes, crevés après un combat qui nous coûta un officier et une quarantaine d’hommes, se replia sur la ligne de Pelzbach, y combattit quelques jours, et finalement reçut un ordre d’embarquement. Partis d’Haguenau, notre régiment débarqua le 25 ou le 26 Mai à Tricot (Somme), gagnant Fescamp, puis par étapes de nuit, alla prendre position à Saint Fuscien, par Estrées.
Le 1er Bataillon tenait lisière de Longueau et le 3ème, c’est-à-dire le mien, était établi aux lisières Nord de Saint Fuscien. Le PC de la ?? était à côté (St-Gaudron). La 10ème Cie (Lt Renard) avait organisé les jardins et le parc qui entourent le château. La 9ème Cie (Lt Dongeaud) tenait les lisières de St Fuscien depuis la route d’Amiens jusqu’à la sortie du village (là où vous signalez les tombes de Davasne et Girardon), et la 11ème Cie (Cap Bassompière) avait constitué 3 points d’appui sur notre droite jusqu’à Longueau, son gros étant dans un bois que nous appelions « le bois de la Hache ».
Nous relevions une division coloniale de Sénégalais qui, après avoir refoulé les Allemands jusqu’aux faubourgs d’Amiens, s’était arrêtée fourbue. Aucune organisation définitive n’existait. Aussi, arrivés le 28 ou 29 Mai, nous prîmes les pioches et nous nous mîmes en devoir de creuser. Nous étions constamment survolés par un avion ennemi, presque en rase-mottes, nous l’appelions « le mouchard ». Inutile de vous dire que nous ne voyions pas un avion français.
De plus, au petit jour, au milieu de la matinée et le soir, nous recevions 1/2heure à chaque fois d’un bombardement de 105 assez dur, parfois fusants, parfois percutants, qui jusqu’alors n’avait pas fait grand mal au village. Nous avions trouvé St Fuscien intact à notre arrivée, sauf le château, point de mire des artilleurs ennemis et déjà bien abimé, et le clocher, percé de 2 ou 3 brèches. Nous avions avec nous une compagnie du génie qui plaçait des mines devant nous toutes les nuits.
J’appartenais à la 9e Cie. J’avais comme camarades Dongeaud qui commandait la Cie, et dont le PC était dans la cave d’une maison située entre l’école et le café, et deux jeunes sous-lieutenants frais émoulus de St Cyr, Champy et de Sansal, qui tous deux se firent tuer héroïquement. Champy, mon voisin de gauche, faisait d’ailleurs partie de la 10ème Cie. Je commandais 3 postes : l’un, un peu plus loin que l’école, sur le petit chemin qui part de la mare et s’en va vers les champs : l’autre à côté, dans 2 jardins à droite de ce petit chemin, et le 3ème dans le jardin d’une maison à 50 mètres du village. Chanteclair, Aubé, Lavantureux, Durand étaient mes soldats. Je logeais dans la cave de la maison d’un coquetier cultivateur, de l’autre côté de la rue.
Nous avions détaché un poste d’une section de la Cie en avant sur la première crête après le ravin qui s’allonge devant le village. Le nôtre, commandé par un adjudant, avait commencé une petite tranchée en plein champ, à 600, ou 800 mètres à droite de la route d’Amiens. J’avais passé, sur l’ordre du chef de bataillon, la nuit du 4 au 5 Juin dans ce petit poste à l’est. Notre artillerie bombardait avec intensité » la gare d’Amiens, le champ d’aviation et les routes, et le spectacle était beau par cette nuit illuminée, quand nous entendîmes des bruits qui, se précisant peu à peu, nous indiquaient que des chars défilaient, entraient dans Amiens et se mettaient en position. Je rentrai à St Fuscien au petit jour et, à peine eus-je retrouvé mes 3 postes, qu’une préparation d’artillerie terrible de déclencha sur nous. Elle était d’autant mieux ajustée que le même avion tournoyait sans arrêt pour corriger les tirs. Nous l’avons subi, planqués dans nos tranchées non terminées, et nous avons eu de sérieuses pertes, surtout en blessés. Lavantureux et Durand ont été tués à côté de moi, par le même obus qui en blessa deux autres, et me laissa seul indemne sur 5 qui étions couchés dans le même coin. Ce bombardement de 105 et de gros, dura de 5h à 7h30 du matin : quand il se fut un peu calmé, et que nous pûmes relever la tête, nous vîmes bien alignés, débouchant sur la crête, des chars en ligne arrivant sur nous. Combien ? Je ne saurais dire, en tout cas un grand nombre, peut être plus de 100. Nous eûmes le plaisir de les voir se diviser en deux groupes, de façon à contourner le village et à ne pas l’aborder de front, et nous les perdîmes de vue. D’ailleurs nous étions bien occupés, car dans la plaine arrivaient les soldats allemands, par paquets denses, presqu’en rangs et nos F.M et nos mitrailleuses tiraient dedans. Nous les voyions tomber sans qu’ils ne changent pour cela leur allure : ils ne couraient pas ils ne se couchaient pas. (NOTA HORS RECIT : possibles effets des 1 mois de pervitine à haute dose, proposée aux troupes allemandes pendant la campagne de France). Je crois que nous leur avons fait beaucoup de mal. Malheureusement l’avion était toujours là, et nos armes étaient vite repérés : une bordée d’obus terriblement précis arrivait dessus, et mes deux mitrailleuses entre autres sautèrent l’une après l’autre, ainsi qu’un canon de 25 placé dans une toute petite maison d’une ou deux pièces, l’avant dernière maison du village, à l’endroit où vous marquez la tombe de Chanteclair et de Sansal, et qui sauta après avoir démêlé au moins 5 chars (8 m’a-t-on dit). Quand les Allemands arrivaient dans le fond, ils se planquèrent et nous ne les vîmes plus. Nous restions là, aux aguets, tirant quand nous voyions quelque chose bouger. J’avais entendu une vive fusillade du côté de Sansal, puis elle avait décru, et tout s’était tu de ce côté-là. J’étais assez inquiet et je n’avais pas tort, car tout à coup j’entendis des commandements en allemand derrière nous dans la rue. Je pris les hommes du poste avec lesquels j’étais (celui du petit chemin) et nous courûmes par le jardin, la petite maison dans la cour et la grange : j’étais le premier, je tombai au milieu d’une vingtaine d’Allemands qui avançaient dans la rue. Le plus près de moi me tira 2 coups de pistolets dont l’un me traversa le ventre, et je vis, aussitôt moi blessé, les 7 ou 8 gars qui étaient avec moi lever les bras. Les Allemands avaient passé avec leurs chars par le vide entre les points d’appui de Sansal et Bassompière, et avaient attaqué en force les postes de Sansal qui défendait l’entrée du village. Ceux-ci, une fois pris, tandis que d’autres nous amusaient par devant, ils entrèrent dans la rue et se trouvèrent derrière nous.
Pendant ce temps, Dongeaud avec le PC de la 9ème Cie s’étaient repliés sur le PC du commandant, et à ma droite, pendant que les Allemands marquaient un temps d’arrêt, et que je me trouvais quelques peu assommé du coup de ma blessure, je pus voir à 2 reprises, un soldat traverser la route venant des postes de Champy, lequel tirait toujours : Champy faisait replier ses hommes un à un, et resté le dernier, il tira au F.M jusqu’à ce qu’il fût tué.
Les Allemands dans leur conquête du village, furent arrêtés plus loin, par d’autres éléments de la 10e Cie avec le Lt Renard et le Lt Pradet, lesquels d’un jardin situé au tournant après la côte qui mène à l’église et au château, tiraient à bout portant. Là aussi les allemands eurent de fortes pertes Enfin pendant que les Allemands me descendaient au poste de secours installé dans la cave du Château, et où je trouvai nos deux médecins du bataillon, le lt Villalle et le ss-lt Salies, le dernier centre de résistance était le P.C du Commandant Tré-Hardy. Celui-ci, entouré des lts Renard (qui l’avait rallié avec ses bonshommes), Dongeaud Gautron, Méary, ss-lts Maurice, Pradat et Masson, Capitaine de Marolles et d’une centaine d’hommes, était complètement cerné. Sommé de se rendre, il refusa à plusieurs reprises et se défendit avec courage. Comment leur résistance finit-elle ? Je n’en sais rien. Ils durent mettre bas les armes sans doute en constatant la disproportion des forces (Les allemands nous ayant attaqué à 4 contre 1). Le combat se termina dans l’après-midi.
Pendant tout ce temps, les chars étaient entrés dans le village, et avait croisé tout autour sans arrêt. Au poste de secours, j’entendis la fusillade et le bombardement jusque vers 3h de l’après midi, et je vis arriver des blessés allemands encore plus longtemps. J’en vis un nombre considérable, tandis que les nôtres, bien moins nombreux, au poste de secours, n’ont sans doute été relevés que le lendemain.
En somme, si nous n’avions pas subi ce bombardement intense, nous pourrions dire que nous avons fait à St Fuscien un combat d’autrefois : attaque et prise du village par des forces 3 ou 4 fois supérieures. Les chars, en effet ne sont pas entrés en action contre nous, ils ont opéré en rase campagne et ont tout emporté de chaque côté, les officiers allemands nous ont félicité de notre défense.
Depuis, les Allemands m’ont soigné, puis renvoyé chez moi comme invalide. Plus tard, j’irai certainement revoir Saint Fuscien."