Au mois d'octobre 1939, laissant sur place sa section d’éclaireurs skieurs commandée par le lieutenant Tom Morel (qui occupe le poste d’hiver du Fornet, en amont de Val-d’Isère sur la route du col de l’Iseran), le 27ème BCA est transporté par voie ferrée jusque dans les basses Vosges afin d’occuper diverses positions d’avant postes entre les ouvrages de la ligne Maginot et la frontière.
En effet, avec l’approche de l’hiver qui interdit toute action d’envergure de l’armée italienne sur les cols d’une haute frontière bloquée par la neige, l’état-major estime plus pertinent d’envoyer les alpins affronter les rigueurs du froid alsacien au plus près de la Wehrmacht.
Les bataillons de la 5ème demi-brigade du colonel Antoine Béthouart (13, 53 et 67èmes BCA) sont mis à la disposition du secteur fortifié du Bas-Rhin et ce durant tout l'hiver particulièrement froid, la température descendant très siouvent à - 25 °.
L’organisation intérieure du secteur dévolu dans ce secteur escarpé et boisé, sera en généraldes plus sommaires, et les chasseurs n’auront le plus souvent, pour tout abri, que des sortes de cagnas, véritable trou à rat garnis d’un peu de paille.
Les différents points d'appui sont ravitaillés par des colonnes muletières qui doivent marcher des heures pour atteindre les postes, dans une zone dont chaque buisson peut dissimuler l’embuscade.
Deux jours après l’arrivée du 27ème BCA débarqué à Gundershoffen, le 67ème BCA s’installe, le 28 octobre, à Rohtbach, village adossé aux croupes boisées du Hochfirst et monte en ligne le 10 décembre, sous une neige qui tombe en abondance, pour relever le 97ème RIA. Le poste de commandement du 13ème BCA s’installe à Bannstein pour garder les pitons de la forêt de Falkenstein et, au-delà, du Schwarzbach. Là, le 5 décembre, le commandant Ponnet en prendra le commandement.
En suivant sur la droite, successivement, s’installeront le 53ème BCA dont la base arrière de Philippsbourg servira également de P.C. au colonel Béthouard puis les trois bataillons de la 25e demi-brigade, le 27 étant dès le 3 novembre, à Niederbronn, sur la ligne de front.
Le 27ème BCA hérite quant à lui du secteur du Maimont, véritable nid d’aigles de 513 mètres d’altitude qui domine les positions allemandes. L’ennemi va vainement tenter de l’isoler.
Au 27ème BCA, a été constituée un groupe franc chargé de tater les positions allemandes et obtenir toutes les informations utiles concernant l'adversaire.
Ce groupe est commandé par le lieutenant Michon puis par le lieutenant Roerich, et va procurer de précieux renseignements, hélas chèrement payés.
Le sergent-chef Jacquemin a ainsi rédigé un émouvant récit évoquant la tragique nuit du 30 au 31 janvier 1940 :
«…Nous faufilant à travers bois, nous progressons en direction de Blumenstein. Il fait noir et la neige, tombant à gros flocons, vient gêner notre avance. Soudain voici les premiers barbelés. Rapidement et sans bruit, le premier groupe s’installe en protection, le second, activement, prépare une brèche. Quelques instants après, tout le groupe franc a franchi l’obstacle sans incident. À peine quelques minutes de marche et brusquement apparaissent devant nous les ruines de Blumenstein, masse sombre et silencieuse
dans la brume du matin. À mi-voix, les rôles sont distribués.
Quatre éclaireurs progressent et vont se poster dans un fossé à l’entrée du château. Tout se passe bien. À son tour le premier groupe avance et s’infiltre dans le burg. Bientôt tout le château est fouillé. Aucun ennemi n’est signalé. Dans le souterrain, un bloc de barbelé est découvert et immédiatement piégé par des grenades. Ce travail accompli, le groupe revient sur ses pas et rejoint ses camarades qui ont fait bonne garde. La mission est terminée.
Avec les mêmes précautions, pour le retour, il faut éviter de signaler notre passage à l’ennemi ou de tomber dans une embuscade. Nous traversons un champ de mines et abordons à nouveau le réseau de barbelés. Le premier groupe se met au travail et les cisailles entrent en action. L’homme de tête vient de signaler un fil lisse entortillé dans le réseau. Nous nous arrêtons… Attention ! Danger, les mines sont là. La progression continue avec redoublement de précautions. D’autres barbelés sont franchis, d’autres mines sont découvertes. Enfin la brèche est ouverte et le groupe franc passe. Le deuxième groupe entreprend de nous suivre lorsque, brutalement, trois explosions déchirent le silence du matin.
Le tireur de mon groupe, croyant à une attaque lâche plusieurs rafales. Mais nous sommes vite fixés ;traîtreusement, les mines viennent de faire leur travail. Au milieu des barbelés, quatre hommes gisent dans la neige ; quatre hommes que nous reconnaîtrons pour être notre lieutenant, nos deux chefs de groupe et notre camarade G… Nous nous portons à leur secours. Mais déjà à droite et à gauche, retentissent de nouvelles déflagrations suivies de cris et de gémissements. Cette fois, c’était notre groupe qui était atteint. Six nouveaux corps sont allongés et maculent de leur sang la blancheur de la neige… »
Pertes recensées
Charles René BILLON, décédé le 2 février 1940 à l'ambulance médicale 84 d'Ingwiller (Bas Rhin) des suites de fractures multiples et de gangrène.
Peut être s'agit-il d'un des hommes du groupe franc du 27 BCA, victime des mines durant cette nuit du 30 au 31 janvier 1940.
Jean Marie DE BOUARD DE LAFOREST, décédé le 1er février 1940 à l'ambulance médicale 84 d'Ingwiller (Bas Rhin)
Albert Hermann CHABOUD, décédé le 6 février 1940 à l'ambulance médicale 84 d'Ingwiller (Bas Rhin)
Et
Philippe Auguste GUILLAUMONT, décédé le 31 janvier 1940 dans le Bas Rhin
Pour GUILLAUMONT, je pense qu'il s'agit du chasseur "G" évoqué dans le récit :
"Au milieu des barbelés, quatre hommes gisent dans la neige ; quatre hommes que nous reconnaîtrons pour être notre lieutenant, nos deux chefs de groupe et notre camarade G… Nous nous portons à leur secours.'
Voici le récit complet du sergent JACQUEMIN paru dans la Gentiane n° 32 page 12 :
Au soir du 30 Janvier, nous recevons ordre d'envoyer une patrouille reconnaître le château de Blumenstein.
Blumenstein est un vieux Burg féodal situé au-delà de la frontière Franco-Allemande. Ce château en ruines contiendrait, d'après l'E. M. un important dépôt de matériel.
Une patrouille toute composée de volontaires est rapidement désignée. Le départ est fixé à six heures du matin. Le sous lieutenant ROERICH, commandant du G.F. aidé de ses deux chefs de groupe, les sergents DORLIN et DESBOIRES, met au point les derniers préparatifs de l'expédition. Les dix-sept hommes, composant l'effectif de la patrouille seront tous bien équipés. Ils porteront la tenue D. L. M., bottes en caoutchouc, cagoules blanches, armement individuel. Le G. F. perçoit en outre un supplément de deux F. M.
Après une nuit troublée d'un sommeil agité, tout le monde est prêt à l'heure du rassemblement. Notre Lieutenant passe une dernière inspection, s'enquiert si tous sont munis de leur paquet de pansement, ce qui a pour effet de jeter un certain froid parmi les groupes. Mis face à la réalité, nous faisons confiance à notre chef, et, derrière lui, nous nous enfonçons dans la nuit froide.
Au départ, nous marchons vite, il s'agit de se réchauffer.
Bientôt, nous atteignons le Maimont dernier P. A. français. Après échange du mot de passe, nous pénétrons dans la redoute. Un café absorbé sur le pouce nous ranime, et nous repartons ragaillardis et encouragés par les gars restés au P. A. Eux aussi par leur vigilance participeront à l'action. Maintenant, notre allure est plus lente, nous sommes dans le No mans land et l'ennemi est là, tout près. Nous faufilant à travers bois, nous progressons en direction de Blumenstein. II fait noir, et, la neige tombant à gros flocons, vient gêner notre avance. Soudain, voici les premiers barbelés. Rapidement et sans bruits, le premier groupe s'installe en protection, le deuxième groupe, activement, pratique une brèche. Quelques instants après, tout le G. F. a franchi l'obstacle sans incident. A peine quelques minutes de marche et brusquement apparaissent devant nous les ruines de Blumenstein, masse sombre et silencieuse dans la brume du matin. A mi-voix, les rôles sont distribués : le premier groupe reconnaîtra, le deuxième restera en protection. Longuement, le château et ses environs sont fouillés à la jumelle, les ruines paraissent abandonnées.
Quatre éclaireurs progressent et vont se poster dans un fossé à l'entrée du château. Tout se passe bien. A son tour le premier groupe avance et s'infiltre dans le burg. Bientôt tout le château est fouillé. Aucun ennemi n'est signalé. Dans un souterrain un bloc de barbelés est découvert et immédiatement piégé par nous avec des grenades F1. Ce travail accompli, le groupe revient sur ses pas et rejoint ses camarades qui ont fait bonne garde. La mission est terminée. RAS ! et en route pour le retour.
Avec les mêmes précautions il faut éviter de signaler notre passage à l'ennemi ou de tomber dans une embucade nous prenons la direction du P. A. 29, poste allemand évacué le jour. Nous traversons un champ de mines et abordons à nouveau le réseau de barbelés. Le premier groupe se met immédiatement au travail et les cisailles entrent en action. L'homme de tête vient de signaler un fil lisse entortillé dans le réseau : nous nous arrêtons . . . attention: danger! les mines sont là ! La brèche et la progression continuent avec redoublement de précautions. D'autres barbelés sont franchis, d'autres mines sont découvertes. Enfin la brèche est ouverte et le G. F. passe. Le deuxième groupe entreprend de nous suivre lorsque, brutalement, trois explosions déchirent le silence du matin. Le tireur de mon groupe croyant à une attaque, lâche plusieurs rafales. Mais nous sommes vite fixés traîtreusement, les mines viennent de faire leur travail. Au milieu des barbelés, quatre hommes gisent dans la neige; quatre hommes que nous reconnaissons pour être notre lieutenant, nos deux chefs de groupe, et notre camarade G . . . Nous nous portons à leur secours. Mais, déjà, à droite et à gauche retentissent de nouvelles déflagrations suivies de cris et de gémissements. Cette fois, c'était notre groupe qui était atteint. Six nouveaux corps sont allongés et maculent de leur sang la blancheur de la neige. On entend une voix appeler: "Maman! . . . Maman . . .! A moi! Reste seul gradé valide du G.F., j'organise les secours. Ne pouvant transporter à nous seuls les corps des morts et des blessés j'envoie un homme prévenir le PA de Maimont. Ce dernier tombera évanoui en arrivant .
Pendant ce temps, nous mettons nos blessés à l'abri et veillons les morts. L'attente est longue. Mais bientôt des bruits nous parviennent, nous retenons notre souffle ... est-ce l'ennemi ou enfin le secours? Aussi quel soulagement en voyant déboucher le Lieutenant JOY toubib du Bataillon à la tête de ses brancardiers. Les premiers soins sont aussitôt donnés, puis, blessés et cadavres sont placés sur les brancards. Enfin, sous la protection des survivants la colonne se met en route en direction du P. A. . . . La, des traîneaux nous attendent.
Tristes et silencieux; nous regagnons le petit village d'Obersteinbach ce sera ici, dans ce petit hameau de la terre d'Alsace, sur le sol de France que nos camarades dormiront en paix de leur dernier sommeil. Cinq morts et cinq blessés; voila quel fut le bilan tragique de cette patrouille. Ce soir, comme tant d'autres soirs, le communiqué du G. Q. G. dira : "Activité réduite de patrouilles aux avants poste R. A. S."
A+
le Gone