Introduction Des_Barres

Bonjour,

Il y a environ cinquante ans, deux grand-pères et trois grand-oncles - tous combattants de 40 - surent chacun saisir le moment propice - un lendemain de Noël pour certains, une longue soirée d’été pour d’autres - pour me raconter leur guerre.

Chacun sût exhumer, dans un processus de restitution qui lui était propre, ses morceaux de vécu qui n’avaient pas trente ans, afin que moi, l’enfant, « sache vraiment ce qui s’était passé ».

C’est ainsi que j’ai pu voir des hommes rudes que j’avais jusqu’alors cru indestructibles, verser des larmes en parlant,sans qu’un sanglot ne vienne interrompre leur histoire. Si le silence venait parfois interrompre le récit, c’était pour exprimer l’indicible, que leurs gorges nouées refusaient de hurler.

Ces souvenirs de mes anciens, restent à jamais gravés dans ma mémoire. Ils me firent très tôt comprendre que quelque chose de terrible était advenu à ma famille, à mon pays en cet été 1940. Ils m’amèneront plus tard à m’intéresser à cette période de notre histoire, sous toutes ses formes.

Aujourd’hui, il me semble qu’il est temps de partager avec les plus jeunes. Car eux, n’auront pas le privilège de l’apprendre de leurs aînés.

bonsoir et bienvenue sur le forum,

merci pour ces magnifiques mots au sujet de vos ainés.
N'hésitez pas à publier ou partager ses souvenirs avec nous, cela nous comblerait
Avez vous une idée de l'affectation de chacun de vos parents?
cdlmt
jd

Bonsoir
sur le forum
Cordialement

bienvenue sur le forum

les témoignages sont si précieux !!!

Je vous remercie pour votre accueil. A votre question, depuis ces témoignages recueillis il y a bien longtemps sur le vif, j’ai eu le temps et les moyens de retracer leur parcours avec précision.

Mais ce sera pour un autre jour.

Bonjour,
Bienvenue sur le forum Hâte de vous lire

Bonne Année 2020 à tous,

Comme promis, je vais répondre de façon succincte mais néanmoins précise à la question qui m’était posée le jour de mon inscription, à savoir les unités dans lesquelles mes aînés ont combattu en 1939-40.

Bien que d’origine et de parcours très différents, mes deux grand-pères étaient officiers d’active, capitaines dans l’armée d’Afrique.

L’un - le grand-père paternel - était un officier promu au mérite dans l’armée Coloniale. Durant la campagne de France, il combattit  » aux premières loges »: sur la Meuse à Monthermé, à la tête d’une compagnie de la 42ème DBMC, qui constituait - avec sa cousine 52ème DBMC - la 102ème DIF. Blessé au combat le 14 mai sur ses positions du bois Roma, il fut fait prisonnier par le Kampfgruppe Esebeck de la 6. Panzer Division dans la matinée du 15 mai, alors que son unité tentait de se replier, à court de munitions.

Il fut d’abord choqué par le premier bombardement aérien « on a vu le ciel nous tomber dessus..sortant difficilement de notre petit blockhaus après une heure de concert, on a constaté avec stupeur qu’il avait...changé de place, et que la forêt était...partie. En fumée. Le silence qui suivit fut assourdissant. On venait de se faire piétiner par un essaim de frelons géants. Notre pétoire tue-mouches (mitrailleuse DCA) nous parut d’un coup sacrément dérisoire.»

Puis impressionné par l’assaut Allemand du 14 mai. « Malgré une casse incroyable dans leurs rangs - on leur balançait toute la ferraille que nos mitrailleuses et nos mortiers pouvaient cracher - ils continuaient à progresser comme à l’exercice, en chantant un magnifique canon à trois voix! On a fini par les faire taire, mais ils avaient réussi à prendre pieds dans notre dispositif. »

Enfin, à tord ou à raison, il ne pardonnera jamais au chef de la 102ème DIF de les avoir « sacrifiés «, en  »retardant l’ordre de repli de 12 heures, alors que l’encerclement était déjà entamé ». Fait prisonnier, il réussira à s’échapper de son Oflag courant 1943, pour reprendre le combat au sein de l’armée de libération. Mais c’est une autre histoire.

Ce grand-père a rédigé un cahier de souvenirs sur sa campagne de France, ainsi que le plan de défense de son unité de forteresse. Par contre, l’ensemble de ses albums photo furent détruits lors d’un séjour ultérieur en Indochine.

L’autre - le grand-père maternel - était un officier issu de Saint-Cyr - promotion « Metz et Strasbourg » (la même qu’un certain de Hautecloque, futur Général Leclerc). Il fit la campagne de France à la tête de la 2ème compagnie du 4ème RTT. Son unité avait d’abord été maintenue en Tunisie, sur la ligne Mareth, en raison du risque de déclaration de guerre avec l’Italie.

Appelés à rejoindre la France le 24 mai, ils débarquèrent à Marseille le 1er juin et remontèrent vers Paris, où régnait déjà une atmosphère de débâcle, qui marqua son esprit. Affecté à la 84ème DIA, ils montèrent en ligne sur l’Oise au milieu d’un désordre indescriptible, sans une partie de leur artillerie.

Lors de l’attaque Allemande du 5 juin, ils tinrent bon sur leur créneau, mais le front étant percé, ils durent effectuer un repli délicat sur la Seine, sous les bombardements de Stukas. Puis ce fut repli sur repli, jusqu'à la Loire, en échappant toujours à l’encerclement, au prix de nombreux combats de chien.

En dehors du climat délétère qu’il rencontra à son arrivée en métropole, et de l’incroyable incurie du haut-commandement qu’il constata sur l’Oise, c’est de ces combats de rencontre que mon grand-père me parlera le plus. Car ils furent très nombreux. Beaucoup plus que ce que les rapports de l’époque nous en ont fait l’écho.

» Notre bataillon servit ni plus ni moins de voiture-balai à l’arrière-garde du dispositif. Je n’ai jamais su pourquoi. Peut-être parce que nous étions une unité encore fraîche. Peut-être parce que nous étions considéré comme des troupes de choc.

« En l’absence d’ordre de mission explicite de l’état-major, et de la mort prématurée du général commandant la 84e DI, les règles d’engagement contre l’ennemi furent décidés aux échelons subalternes à partir du repli vers la Seine. Ce qui s’avéra être bénéfique, en raison de la nature purement tactique de ces combats. »

 »Les Allemands étaient très agressifs, et cherchaient à nous couper ou a nous déborder par tous les moyens. Ils bénéficiaient de la supériorité technologique et matérielle, et de l’aviation. Nous nous sommes rappelé des techniques de guérilla que les rebelles Marocains avaient employé contre nous en 1920 avec un certain succès.« 

« Nous les avons appliqué dans nos combats de Juin contre les Allemands: Surprendre l’ennemi, tuer ses officiers en premier, abattre les servants d’armes lourdes en priorité, et les récupérer si possible, puis disparaître à toute vitesse, avant d’être fixé ou débordé. Le 23 juin, ma compagnie comptait 12 mitrailleuses MG 34 en dotation active, ainsi que 3 side cars. »

« Les Allemands utilisaient parfois prisonniers et civils pour leur faciliter le travail ( indicateurs de raccourcis, négociateurs ou simplement boucliers humain). Confronté à ce problème, nous avons répondu chaque fois très brutalement. Cela n’a jamais empêché les Allemands de récidiver. »

Le 4ème RTT étant une unité d’active aguerrie, elle sut conserver sa cohésion, et au final échapper à la capture. Rapatrié sur la Tunisie, lesvofficiers du 4ème RTT y subiront la frustration de remettre à l’ennemi Italien et à leurs conseillers Allemands « les clefs » de la ligne Mareth.

Ce n’est donc pas étonnant que, suite au débarquement américain en Afrique du Nord de novembre 1942, le 4ème RTT fut la première unité de l’armée d’Afrique à ouvrir le feu contre les Allemands, à Merjez El Bab. Et plus tard, durant la Campagne d’Italie, l’unité à se couvrir de gloire sur les pentes du Garigliano. Mais c’est là aussi un autre histoire.

Ce grand-père m’a laissé une note de quelques pages sur sa campagne de France - dont j’ai tiré ces quelques lignes - mais aucune photo de l’époque.

Mon premier grand-oncle - paternel - était lui dans la Marine. Le plus vieux de sa fratrie, c’était un vieux brise-quart qui avait fait les Dardanelles lors de la 1ère guerre mondiale, en qualité de matelot. En 1939, il fut affecté comme quartier-maître machine du torpilleur Siroco, qui faisait partie de la 2ème Flotille de torpilleurs affectée  à la défense des côtes du Pas-de-Calais.

Il combattit en Mer du Nord, puis participa à l’attaque du 11 mai de la 7ème armée sur la Hollande, avant d’être affecté à la protection du secteur de Dunkerque. Le 28 Mai, le Siroco reçût l’ordre  d’embarquer les troupes encerclées. Ce qu’il réussit une première fois. Mais la seconde tentative n’eut pas le même résultat.

Le 31 mai, après avoir été torpillé et immobilisé par des vedettes, il fut bombardé et « fini » par des Stukas, qui le coupèrent en deux. Mon grand-oncle survécut au naufrage, mais en restera sourd toute sa vie. Il me raconta une fois son naufrage, un soir d’été, près d’un grand feu de cheminée, qui lui rappelait le brasier qu’il avait dû affronter.

L’horreur de son récit m’empêche aujourd’hui de vous le communiquer, par respect envers les disparus et leurs familles. Je vous dirai seulement que la dernière chose qu’il entendit distinctement avant de devenir sourd, fut le bruit des torpilles qui cavitaient en arrivant sur le bateau.

Et que certains soirs d’été, il se réveillait dans sa chambre à l’étage du château familial, descendait à grand bruit l’escalier de pierre de la tour, en maugréant, pour sortir marcher seul, dans le bosquet, en chantant à tue-tête.

Je sus plus tard que ces soirs là, il entendait sans pouvoir les faire taire, les hurlements des naufragés essayant d’échapper à la nappe de mazout enflammée qui s’étalait à grande vitesse sur la mer de ses souvenirs.

A son décès, ses affaires ont été confiées à son fils, lui-même disparu aujourd’hui. Je n’ai rien de ce Monsieur, en dehors de son souvenir et de son témoignage.

Mon second grand-oncle - paternel- était jeune pilote de chasse au GC III/6. Il combattit d’abord sur Morane 406, puis sur Dewoitine 520. S’il ne remporta pas de victoires, il survécut sans une égratignure à l’hécatombe de 1940. Il combattit les Allemands, puis les Italiens.

Basé à Cannes à la fin de la guerre, il ne parla jamais plus à un Italien de sa vie, pour avoir vu l’un de leur pilote mitrailler des femmes et des enfants sortant d’un train. Ce grand-oncle étant un taiseux, cela ne lui coûta pas grand chose je crois. Il fut ensuite envoyé en Syrie, en 1941, combattre les Anglais.

Il en descendit deux, survécut encore, mais revint déprimé de cette campagne fratricide. Il en tomba malade. Début 1943, L’Afrique du Nord libérée, il se portera volontaire pour le groupe de chasse Normandie en Russie. Pour oublier. Il y remportera des victoires, et en sortit de nouveau sans bobo.

Une performance. Ironie du sort, il mourut après guerre dans un accident d’avion banal, après avoir fêté son anniversaire chez mes grand-parents paternels. Ce jour-là, il coupa lui-même son gâteau, et ma grand-mère - superstitieuse - s’en voulut jusqu’à son dernier jour de l’avoir laissé faire.

J’ai quelques photos de lui en pilote, mais qui ont déjà été publiées.

Mon dernier grand-oncle - maternel - était polytechnicien. Ingénieur chez Renault, il sollicita une affectation en première ligne. Il finit par l’obtenir, mais au printemps 1940. Malheureusement, les notes de nos entretiens, ainsi que son dossier militaire, sont sur un ordinateur qu’il ne m’est pas possible de consulter sur le moment.

Il se peut qu’un jour je revienne sur sa campagne, car il eut la malchance de se voir confier une mission de sacrifice très particulière: dégager un train de la banque de France, bloqué par l’avancée de l’armée Allemande, pour lui permettre de rejoindre Brest.

Une mission dont il s’acquitta, mais au prix très lourd d’une blessure grave qui le fit boiter toute sa vie, d’une captivité éprouvante en raison de son état de santé, et d’une tristesse un brin mélancolique, qui ne le quitta jamais complètement.

Je me rappelle de ses yeux gris et rieurs, lorsqu’il me racontait sarcastiquement sa « guerre du rail », où il s'était « étripé avec des enfants de Hitler«  pour tenir un tunnel et deux voies ferrées, et « voir passer un train a moitié vide, monté par du beau monde, qui n’avait même pas ralenti pour nous saluer ».

Son récit parlait d’abord de  »gamins ». Et puis d’horaires de train, de montres, de voies ferrées, de munitions et d’eau qui s’épuisent, de soif et de grenades qu’on dégoupille pour « gagner du temps ». De celles qu’on reçoit et qu’on est assez habile pour renvoyer. Et enfin de celle qu’on voit trop tard, et qui vous endort d’un sommeil qui ressemble à la mort.

Ses gamins à lui, «  s’étaient bien battus, intelligemment, mais une partie s’est fait écharper en tentant de se replier  ». Et puis il y avait aussi les  » gamins de Hitler », qui étaient  »en face ». Et qui mouraient en mettant leur nez au dessus des rails, comme des idiots ».

Et alors là, il s’en voulait, et à ma grande surprise, ses yeux se mouillaient comme ceux d’une jeune fille lorsqu’il me racontait combien il s’en voulait d’avoir « tué comme ça une bonne douzaine de gamins trop fiers, a qui ce connard de Hitler avait appris à lever fièrement la tête, au lieu de la baisser. »

Il me confia aussi, qu’ étonnamment, c’est à ce moment précis qu’il avait compris qu’Hitler perdrait la guerre.

Bien que marié et riche, ce grand-oncle n’eut jamais d’enfant. Pour l’avoir bien connu et apprécié, je sais que ces événements de mai 1940 étaient à l’origine de sa décision, consciente ou non.

Voilà. Je pense avoir fait le tour. En souhaitant que ce message réponde à la question posée initialement, en l’éclairant du souvenir que j’ai conservé de mes ainés aujourd’hui disparus.

Merci pour ces beaux témoignages

bonjour et bienvenue parmi nous.

Merci. Dès que le temps me sera donné, je publierai d’autres éléments de ces aînés.

Bonsoir à vous et avec du retard bienvenue.

Un grand merci pour ces partages particulièrement émouvants et précis. Je pense que vos aieux symbolisent à eux 5 une grande partie de "notre" Armée de 40. Mais vous avez eu la chance, que les vôtres, aient raconté leur guerre ce qui ne fut malheureusement pas le cas de beaucoup d'entre eux...par volonté ou par manque d'oreilles attentives!
Personnellement j'ai eu un seul grand-oncle, que je n'ai malheureusement pas connu, ayant combattu en 1939/1940 au sein du 149° R.I.F(par contre 4 en 14/18 dont 1 tué au combat). J'aurai tant aimé l'interroger mais le peu que je sais provient de son fils(aujourd'hui aussi disparu) et se résume en quelques lignes.

Le témoignages de vos anciens mériteraient d'être couchés sur le papier.

Cordialement.

Je vous remercie. Pour vous répondre , j’ai pensé très longtemps à publier un jour leurs mémoires, mais j’ai finale pris la décision de ne pas le faire. Du moins pas comme cela.

J’ai pris le parti de respecter leur anonymat, ainsi que leur modestie, qui était assez répandue dans ce milieu de petite noblesse d’épée.

C’est une chose bien difficile à faire comprendre aujourd’hui. Je vais cependant tenter de le faire car c’est, je crois, témoigner encore une fois en leur nom.

Ils considéraient d’abord et avant tout l’acte de transmission entre générations comme une obligation initiatique envers les plus jeunes de leur clan.

Mais ils jugeaient aussi parfaitement déplacé de témoigner de leurs actes en dehors du cercle familial.

C’est ainsi que, bien qu’ils furent sollicités pour le faire par certains confrères ou relations, mes grands-pères refusèrent systématiquement de publier leurs mémoires.

À mes agaçantes interrogations adolescentes sur ce point, ils me répondirent chacun à leur manière.

Mon grand-père paternel le fit avec sa vigueur habituelle:

Pour quelle raison valable publierais-je un livre?

Pour la gloire? Laisse Marc Aurele te répondre: «  Celui qui aime la gloire met son bonheur dans les émotions des autres, tandis que l’homme sensé le place dans sa propre conduite. »

Pour la vérité? Relis Plutarque: “ La vérité objective est une chimère aux têtes multiples. Pleures-tu le soldat qui vient de perdre un bras, ou admires-tu celui qui vient de le lui trancher?”

Pour transmettre? Mais à qui donc, et pourquoi? Qu’ai-je donc fait de mieux, que les propres pères ou mères de mes hypothétiques lecteurs?

J’ai rencontré dans ma vie bien des êtres plus courageux, plus altruistes, ou plus sages que moi. Certains n’étaient pas des guerriers. Beaucoup étaient des femmes. Je pourrais même te citer quelques animaux parmi ces êtres exceptionnels. Aucun n’a écrit de mémoire pour se mettre en scène!

Les seuls à qui je ne pourrais pas refuser ma plume, ce sont les morts. Mes morts. Mais ces héros, qui venaient pour beaucoup d’Afrique, pensaient que seul Dieu avait le pouvoir d’écrire sur le destin des hommes.

Comme je ne suis pas Dieu, mais simplement un chanceux grand-père, je me contente d’écrire à mon petit fils, pour lui transmettre le peu de ce que ma vie peut lui apprendre.

En Béarnais malicieux qu’il était, mon grand-père maternel, lui, prit le parti de me transmettre pour réponse une histoire tirée de son patrimoine familial.

“ Il y a bien longtemps, ton arrière arrière grand-père, officier de cavalerie de la Grande-Armée , revint de guerre après avoir perdu un bras dans les plaines de la Sainte Russie.

A peine rentré chez lui, il n’entreprit pas de s’atteler à l’écriture de ses mémoires. Non. Mais il se mit à mesurer longuement la porte principale de son château, avant de faire poser un magnifique carrelage de faïence dans l’entrée, qui rehaussa significativement la hauteur du sol à cet endroit.

A sa femme intriguée, ainsi qu’à ses enfants perplexes, il fut heureux de révéler bientôt le propos de tels aménagements.

Il leur confia qu’en vingt ans de campagne, il avait découvert avec effroi combien l’arrogance, et la fierté imbécile, pouvaient se révéler des fléaux aussi terribles que la peste ou le typhus.

Selon lui, les souffrances indicibles endurées par les peuples d’Europe en son temps, en étaient la conséquence directe.

Tout comme l’étaient les dizaines de milliers de morts, tombés sur tous les champs de bataille de toutes les campagnes auxquelles il avait participé.

Cette prise de conscience le conduisit à réfléchir sur un moyen, à la fois sûr et radical, qui lui permettrait d’alerter impérativement sa famille et ses proches, sur l’inanité de tels vices caractériels.

Moyen dont il était essentiel de garantir l’efficacité immédiate, mais aussi la permanence sur les siècles suivants.

C’est ainsi que notre ancêtre, le bienheureux Pierre Cezaire Hyppolite, inventa, pour nous protéger durablement, la légendaire “Porte de l’Humilité».

Un procédé à la fois simple et redoutable: la hauteur de la porte ayant été abaissée par haussement du sol, tout adulte rentrant dans le château la tête haute, était certain de se cogner le front contre le robuste linteau de pierre de la tour. Ceci juste sous le blason familial, sensé indiquer à l’assommé la source de l’avertissement, venu du temps passé.

Et je puis t’assurer que, depuis cette subtile mais non moins brillante modification de palier, chaque génération de notre famille, chaque ami ou connaissance franchissant le seuil de notre demeure , a appris puis retenu la leçon que ce patriarche avait souhaité nous transmettre avec bienveillance.

Alors tu comprendras que je ne suis pas prêt à remettre en cause les bienfaits d’un tel enseignement.

Tu vas bientôt être assez grand pour penser par toi-même.

Tu vas donc découvrir que, pour un garçon grand et fier comme toi, baisser la tête n’a rien de naturel.

Et admettre assez vite que la pierre des gaves est beaucoup plus dure que ta fierté naturelle.

Tu feras ton apprentissage. Et c’est justement cela, l’humilité. Un apprentissage. »

Voilà. J’espère avoir réussi à vous éclairer sur les raisons qui me lient à une forme de discrétion un peu désuète.

Je vous quitte sur une dernière confidence qui, j’en suis sûr, vous fera sourire.

Je vis aujourd’hui dans le château familial de ma famille maternelle. Ce même « castet » - ou manoir Béarnais - vieux de cinq cent ans, qui accueillit mon ancêtre à son retour de sa campagne de Russie, et que j’ai réussi à sauver de la ruine en le retapant pendant plus de vingt ans.

Mais je n’ai jamais touché à la porte de l’humilité, qui reste parfaitement fonctionnelle. Le dernier à l’avoir essayé fut le nouveau maire de mon village.

La bosse magistrale qu’il arbora durant les semaines qui suivirent sa visite, fut très vite remarquée par ses administrés.

La porte du castet étant légendaire par ici, chacun eut l’esprit de le féliciter chaudement, pour l’acquisition précoce d’une vertu devenue si rare en politique.

Bonsoir.

Rien n'est désuet dans ce que vous écrivez! Bien au contraire, notre époque, à l'heure du "contact dématérialisé" parfaitement incarné par des réseaux sois-disant sociaux, a perdu son âme et elle gagnerait beaucoup à revenir sur certaines valeurs de son passé. Vos ancêtres, qui appartenaient à une certaine élite, ont semble t-il, de par leur vécu, su acquérir une sagesse que bons nombres de nos contemporains aux mêmes postes sont loin de posséder.(votre maire devrait en prendre de la graine!)
Avec vos explications je comprends mieux votre retenue à écrire les faits d'armes de vos aieux...mais la particularité de la Campagne de mai/juin 1940 est telle(ces combats sont pour la plupart complètement ignorés des générations précédentes et pas seulement de la dernière) qu'il n' y aurait nulle ambiguité sur ces récits: il s'agirait de réhabiliter des hommes qui ont, pour beaucoup, combattu à l'image de leurs aînés de 14/18 et qui en sont morts ou qui ont perdu, pour certains, 5 ans de leur précieuse jeunesse.

En tout les cas je tiens à vous dire que vous lire me met en apesanteur et que cela fait du bien dans cette époque ou tout va si vite.

Bien amicalement.

Rémi.