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 La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944)

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Eric13
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Eric13


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La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944) Empty
MessageSujet: La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944)   La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944) I_icon_minitimeMer 03 Juil 2013, 00:54

Petit dossier sur la GENDARMERIE NATIONALE

. Les corps d’un Corps

A la Libération la gendarmerie française, confrontée au bilan de quatre années de subordination professionnelle à l’occupant, doit se légitimer. De ce passé pétri de contradictions professionnelles et morales ne ressort qu’un portrait partisan de l’institution. Cette représentation lissée se révèle dans l’étude des victimes de ce corps. La mémoire des gendarmes morts aux maquis éclipse une mortalité multiple et complexe. Certaines facettes ambivalentes sont oubliées sinon délaissées.

En 1940, l’Etat Français qui succède à la IIIe République signe l’armistice avec l’Allemagne : une partie du pays est occupée et l’armée française dissoute1. Ce n’est pas le cas de la gendarmerie malgré son statut militaire2. Institution centenaire spécifiquement française, issue de la Maréchaussée, la Gendarmerie Nationale est une force républicaine de maintien de l’ordre. Aux yeux de Vichy, défendre l’unité de ce Corps, c’est garder intact le symbole du maintien de l’ordre français, et partant, un véritable moteur de la légitimité du régime en zone occupée. Après de sinueuses négociations menées activement par sa hiérarchie3, la gendarmerie française survit. Cela a pour prix l’engagement de ses membres, à tous les échelons, dans la collaboration professionnelle avec l’occupant. Jusqu’au terme de l’année 1942, les gendarmes sont les incontournables – parfois indéfectibles – collègues de travail des Allemands. Ils collaborent physiquement avec l’occupant par le biais d’une « accommodation »4 morale dictée par leur esprit de corps. Il arrive que des gendarmes tentent de se soustraire subtilement à certains ordres par patriotisme. La figure charismatique du Maréchal Pétain et la continuité du quotidien professionnel (cibles communistes, étrangères ou maçonniques préexistantes à l’Occupation et missions de maintien de l’ordre intérieur issues de l’état de guerre depuis 1939) provoquent, sinon le rattachement des gendarmes au régime, du moins endort la méfiance de beaucoup : sous l’Occupation, le travail du gendarme continue… Le réveil des consciences – si tant est qu’inconscience il y ait jusqu’alors – s’opère au tournant de l’année 1943. Progressivement, des gendarmes s’exposent à une désobéissance, encore ponctuelle, individuelle et masquée. Ce n’est qu’à l’été 1944, suite au débarquement de Normandie et à l’éclosion exponentielle des maquis, que la gendarmerie rejoint massivement les rangs de la Résistance.

A la Libération, un processus d’épuration en interne s’amorce avec la distribution des bons et mauvais points : les récompenses, les gratifications et autres promotions s’accompagnent de sanctions et punitions, résultats d’enquêtes confidentielles afin de détecter collaborateurs et serviteurs désormais considérés indignes. Dans le cadre de cette démarche corporative manichéenne, des hommes sont brutalement confrontés à leur passé, autopsié par leurs propres supérieurs et collègues5. Cette opération d’assainissement doit présenter une garantie de légitimité avec le rétablissement de la légalité républicaine. Mais gommer les aspérités est insuffisant, et quelques pièces polies sont soigneusement exhibées :

Exposée à la furia purificatoire de la Libération, la gendarmerie, s’était alors très rapidement calfeutrée derrière l’étoffe de ses héros (Vérines, Martin, Guillaudot…) pour tenter de restaurer une image de marque un tant soit peu malmenée durant les heures sombres.6

Au sein de ce panel des représentants intouchables de l’institution, nombreux sont ceux qui sont morts, victimes de l’appareil répressif nazi. Mais si les funestes destins de ces individualités vont offrir un bouclier improvisé à la mémoire immédiate d’après-guerre, puis d’icônes emblématiques de l’héroïsme corporatif des décennies plus tard7, la mortalité globale du corps peut aussi servir de talon historique à long terme. Il y a peu, Claude Cazals, le pionnier de la recherche sur la gendarmerie sous l’Occupation, établit très furtivement, dans un article consacré à la dialectique « gendarmerie et résistance », un corollaire entre résistance et mortalité. S’il est reconnu que des gendarmes ont collaboré, « la gendarmerie eut aussi pendant cette période un autre visage. L’importance de ses pertes en atteste »8. Loin d’être discutable, ce théorème proposé offre un nouveau type de parade éthique – et arithmétique – à la gendarmerie de cette période : le nombre de ses morts. Se pencher sur la mortalité nécessite pourtant de dépasser l’élémentaire jalon de la statistique numérique. Le nombre n’est un facteur explicatif que s’il est disséqué par des paramètres complémentaires. C’est d’abord la condition du trépas qui détermine son impact. Une exécution sommaire ne peut se comparer à une disparition survenue lors d’un affrontement. Il faut alors observer l’origine de cette fin, son auteur. Des Allemands ou des Français ? La sentence d’un tribunal militaire ou le geste d’une faction illégale ? La nuance est majeure. La facette chronologique permet ensuite de circonscrire un découpage selon différentes temporalités. Mais à ces trois données, il faut ajouter un facteur original à ce sujet, précisant si le décès d’un gendarme survient dans la légalité ou l’illégalité (c’est-à-dire dans le maquis), passerelle d’intelligibilité incontournable pour une analyse sur la gendarmerie de ces années. Cette succession de combinaisons est un repère introductif afin d’appréhender la mortalité au travers du prisme mémoriel, insertion d’une réflexion sur les traces de la mort en temps de guerre, sur la construction du souvenir corporatif et les moteurs de l’oubli institutionnel.

4Quelles places les gendarmes morts sous l’Occupation récoltent-ils dans la mémoire collective ? Sont-ils visibles et à quelle échelle ? Comment sont-ils instrumentalisés ?

5Notre analyse porte sur la gendarmerie bourguignonne, composée de cinq compagnies de gendarmerie départementale sous l’Occupation : Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire (Nord), Saône-et-Loire Bis (Sud) et Yonne. A l’exception des disparitions pour causes naturelles, fautes de statistiques complètes, tous les décès sont comptabilisés (il n’y a pas de « portés disparus »).

Les sentiers de l’effigie résistante : les gendarmes morts avec les maquis
La mort des combats

Dans leur très grande majorité, les
gendarmes bourguignons sont passés aux maquis en août 1944, troquant
leur uniforme contre le brassard FFI9
et passant dans l’illégalité. Sur les cinq compagnies, trente gendarmes
meurent durant les combats de la Libération. Le chiffre est important.
C’est vraisemblablement près de 10 % du total national10. Trois types de mortalité se dégagent.

Ce sont d’abord les gendarmes morts dans l’affrontement avec les troupes
d’occupation. Parmi eux, douze tombent les armes à la main dans
l’illégalité des rangs des maquisards11.
Neuf autres gendarmes sont tués dans des combats face aux Allemands
mais sous l’uniforme de la gendarmerie, n’ayant pas rejoint le maquis12.
Toutes ces disparitions laissent après-guerre une marque visuelle : à
l’entrée de leur brigade respective, une plaque commémorative est érigée
à leur nom (R.Bouzereau à Genlis ou P.Ménétrier à Pontailler-sur-Saône
par exemple).

L’institution dénombre également les exécutions de six de ses gendarmes
en Bourgogne. Dans les cinq compagnies, aucun n’est fusillé dans le
cadre de la légalité, tous le sont dans l’illégalité13.
En rejoignant le maquis, les gendarmes deviennent des francs-tireurs
que les troupes allemandes considèrent comme des « terroristes » : ils
ne sont pas traités en prisonniers de guerre et arrestation rime avec
exécution sommaire. A l’image d’une plaque commémorative dédiée au
gendarme Decamme à l’entrée de la brigade de Dijon, rue de Metz, ou de
la stèle funéraire érigée au gendarme Delangre dans le village de
Venarey-lès-Laumes, ces morts hissés au rang de martyrs laissent une
trace architecturale. Les dénominateurs communs à toutes ces mortalités -
la temporalité (été 1944) et les conditions (tués par des Allemands) -
achèvent de les associer dans les mémoires : ils sont alors vingt-sept
gendarmes à mourir « avec » les maquis.

Il y a enfin des victimes d’accidents en périphérie des combats. Des
gendarmes meurent dans des conditions moins héroïques ou tragiques que
leurs camarades. Si l’un d’entre eux disparaît de manière purement
accidentelle14,
deux autres décès résultent d’une méprise. Le premier est abattu au
volant d’une voiture par des maquisards croyant avoir affaire à un
soldat allemand15.
Le second, devenu agent de liaison et sergent-chef au maquis, est
victime lors d’une reconnaissance en voiture d’une rafale de
mitrailleuse tirée d’un avion décrit comme « inconnu » (mais
vraisemblablement des forces Anglo-américaines)16.
Ces deux derniers gendarmes victimes de tirs amis (ou
« tirs fratricides ») sont cependant reconnus comme « tués à l’ennemi ».
Cela signifie mourir face à l’Allemand, généralement dans les combats,
ce qui établit une distinction avec les déportés ou les
gendarmes fusillés. Une mort accidentelle n’est pas aussi glorieuse que
celles d’hommes tombant sous le crépitement des balles, armes à la main,
aux maquis :

Les soldats tués aux combats n’étaient pas envisagés en tant qu’individus mais comme une communauté de camarades.17
C’est pourquoi deux gendarmes tués accidentellement sont assimilés à leurs collègues. « Le nom grandit quand l’homme tombe »18.
Au-delà de l’hommage posthume, l’institution érige par des monuments
commémoratifs l’effigie du gendarme maquisard, et partant, celle du
Résistant.


Les déportés du maquis

En Bourgogne, deux autres hommes sont
morts en raison de leurs liens avec les maquis, mais dans des conditions
radicalement différentes. L’adjudant Lucien Bocher et le gendarme Henri
Chayot sont morts en déportation. Appartenant à la même brigade de
Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), ils soutiennent activement l’un des maquis
les plus influents de la région (le maquis Henri Bourgogne) dès le
printemps 1943. L’un est arrêté en octobre de la même année, l’autre au
mois de juillet 1944, tous deux après avoir été dénoncés à la Gestapo19.
Henri Chayot est officiellement mort dans les camps le 26 avril 1945
tandis que le décès de l’adjudant Lucien Bocher est daté du mois de mars
194520.
Leurs noms circulent fréquemment dans les correspondances de la
hiérarchie au sortir de la guerre : leur déportation est connue de toute
la gendarmerie de la région et ils sont proposés pour une médaille de
la Résistance Française.

Parallèlement, plusieurs années après la Libération, leurs noms surgissent de Mémoires d’anciens résistants et d’articles d’amicales de la Résistance21.
C’est moins leur acte de désobéissance que leur lien anticipé à un
maquis puissant, dès l’année 1943, qui met en lumière leur déportation22. Arrêtés dans la légalité, ils sont paradoxalement considérés comme tués avec le maquis.
L’institution a donné naissance à des cellules immunitaires
destinées à exprimer et à faire vivre collectivement l’ampleur des
lésions reçues individuellement.

Ces trente-deux victimes, désignés frères d’armes morts pour la
Libération, à l’opposé du portrait d’un gendarme collaborateur, servent
d’expiation à une institution fréquemment compromise pendant près de
quatre années d’Occupation. Leur disparition, replacée emblématiquement
dans le combat du maquis, est présentée comme un label de résistance
jusqu’à en devenir la seule mortalité visible de cette époque. Il y a
une surimpression dans l’espace local. Une équation visuelle
s’instaure : chaque mort a une stèle. Par réfraction, la gendarmerie
semble être un foyer de résistants sous l’Occupation. Pourtant
n’aurait-elle pas d’autres victimes sous l’Occupation ?
Les silhouettes floues : les morts représentatives


Les disparitions imprécises

L’auteur et la condition du décès ne sont pas les seuls vecteurs du
souvenir. Trois autres gendarmes tués par les Allemands ne laissent
qu’une empreinte vague dans la mémoire collective. Deux situations se
présentent.
A l’approche de la Libération, les bombardements se multiplient et ce sont six gendarmes qui meurent sous les obus en France24. En Bourgogne, un décès survient dans ces conditions25.
Cette disparition ne laisse pas de véritable trace dans la mémoire de
la gendarmerie. Ce n’est pas un héros mais une victime anonyme de la
guerre.
D’autres victimes des Allemands laissent un souvenir tout aussi voilé.
C’est le cas du maréchal des logis-chef Camille Colin de la brigade de
Couches les Mines, arrêté le 25 mai 1944 pour « activité
anti-allemande » et reconnu « mort en déportation » le 6 mai 194526.
Un autre gendarme est « présumé fusillé » pendant plusieurs jours après
la Libération, mais soudainement aperçu dans un train en partance pour
l’Allemagne le 3 octobre 1944. Il ne rentre jamais à sa brigade et meurt
déporté en décembre 194427. Leur mémoire est voilée, disséminée dans la statistique nationale des déportés de la gendarmerie28,
contrairement au souvenir notoire laissé par les deux autres déportés
du maquis. Pourquoi ? D’abord parce que leur souvenir individuel ne se
pérennise pas dans la mémoire collective d’un maquis. De plus, le chemin
de leur disparition est long et inconnu : les déportations se déroulent
parfois en amont de la Libération tandis que la détermination de la
mort s’établit en aval, souvent en 1945. Enfin ces victimes ne sont pas
celles des combats mais celles de la barbarie nazie, d’une rupture
physique et psychologique dont la mémoire a ses propres temporalités
L’abcès de fixation

Au fil des derniers
mois, le commandant de la compagnie de Côte-d’Or, Robert Barthuet,
officier discipliné, obéissant aux ordres supérieurs, se compromet
intégralement avec les autorités d’occupation suite à l’intensification
des maquis. Il est à la fois le prototype et le vecteur de la
collaboration dans la région30,
son zèle lui valant une promotion en mai 1944. Il est exécuté au mois
d’août 1944 sur ordre d’un chef de maquis en liaison avec un mystérieux
informateur de la gendarmerie31.
Cette affaire est problématique pour l’institution. Mais, ce nom et
cette mort ne sont pas entièrement oubliés. Evénement difficile à
dissimuler, il est alors présenté à contre-emploi par l’historiographie
officielle, qui « reconnaît, depuis peu, le rôle de quelques brebis
galeuses, dont l’activité criminelle sert surtout à cacher la
participation collective de l’institution à la politique répressive de
Vichy, au service de l’occupant »32.
Ce raisonnement de Jean-Marc Berlière – sur la police – peut se
transposer à l’endroit de la gendarmerie : Robert Barthuet, sommairement
éliminé, a le profil idéal d’un chef coupable, seul… Il est alors
l’image d’un virus exhibé comme unique dans la région.


Quatre décès laissent un souvenir trouble : si trois silhouettes demeurent
dans l’anonymat chiffré des victimes de la guerre et de la barbarie, la
mort exemplaire d’un quatrième gomme les ambivalences et offre en reflet
une vision déculpabilisée de la gendarmerie. Relativiser cette
conception nécessite de retrouver d’autres victimes.

Les victimes oubliées : les gendarmes abattus par le maquis.


Les victimes qui dérangent

Durant toute l’Occupation, la position de la gendarmerie, au carrefour de la
population, des Allemands et de la Milice, aimante les dilemmes, les
suspicions et les risques : risque d’être pris pour cible qui augmente
avec les maquis armés. Ils sont huit gendarmes à tomber sous les balles
des maquisards dans la région.

Il faut distinguer

les victimes d’exécutions sommaires, des hommes abattus durant leur
service. D’un côté, hormis la mort du commandant Barthuet, trois
gendarmes de la région sont victimes d’assassinats planifiés par des
maquisards en février, juin et juillet 194433.
Après-guerre, leur histoire demeure inconnue, leur exécution passée
sous silence, leurs actes oubliés. De l’autre, quatre autres gendarmes
sont tués lors de banals contrôles d’identité qui tournent mal. La
chronologie offre une réelle perspective d’analyse : ces quatre décès
ont lieu entre le mois de février et le début du mois de juin 194434.
Ces bornes temporelles marquent le renforcement structurel maquisard
dans la région avant le débarquement du 6 juin 1944 : les FFI sont mieux
armés et plus imposants, climat propice à l’affrontement avec les
forces de l’ordre. Ces quatre décès s’inscrivent pourtant dans
l’ancestral processus du maintien de l’ordre contre des groupes de
désordre, tels que les traditionnels « voleurs » et autres « bandits ».
Mais cette mortalité inhérente à cette institution peut être dérangeante
puisqu’elle prend une tout autre signification avec le prisme de
l’Occupation.


Sept gendarmes sur quarante-quatre sont abattus par le maquis en Bourgogne
entre 1940 et 1944. La proportion est non négligeable. Un autre chiffre
est beaucoup plus éloquent : les trois gendarmes exécutés par les maquis
sont tous des gradés. Aucun gendarme du rang n’est assassiné. C’est une
donnée révélatrice d’une perception du chef de gendarmerie par les
maquis, comme seul collaborateur responsable à éliminer, et dont
l’exécution est généralement postérieure au Débarquement. Inversement,
les quatre gendarmes tués dans le cadre du maintien de l’ordre quotidien
tombent avant le 6 juin 1944, date à partir de laquelle la gendarmerie
va devenir impuissante face aux maquis. Des gendarmes meurent sous les
balles des maquisards, ce qui ne fait qu’induire une statistique
défavorable à un portrait partisan de l’institution. C’est pourquoi
cette frange de la mortalité est reléguée dans l’antichambre mémorielle.

Le souvenir choisi

La facette troublante d’une victime peut être aussi diligemment omise de
la mémoire collective. Raymond Engel est gendarme en Côte-d’Or depuis le
début de l’Armistice, récupéré de la légion d’Alsace et de Lorraine,
zone déclarée interdite lors de la défaite de 1940. Ce gendarme ne fait
l’objet d’aucune sanction depuis le début de l’Occupation. Le 20 mars
1943, il est arrêté par les autorités allemandes pour avoir abrité un
réfractaire au STO. Il est révoqué le 12 juin35.
A la fin du mois d’août 1943, un maquis qu’il vient tout juste
d’intégrer est attaqué et démantelé. Il est le seul à recouvrer la
liberté et se retrouve dans un nouveau maquis au mois de novembre 1943.
Démasqué, il avoue avoir infiltré ce maquis au service des Allemands et
est exécuté le 29 décembre.Seul le témoignage d’un résistant fait resurgir le souvenir maquisard de ce gendarme36.

Les rapports de la gendarmerie sont, eux, fragmentaires. Plusieurs
évoquent après la Libération la première partie de l’affaire,
c’est-à-dire la désobéissance et la révocation de ce gendarme ; un
unique rapport de l’un de ses collègues, établi en janvier 1945,
restitue succinctement son passage aux maquis en décembre 194337.
Mais il n’est nullement question de sa trahison. Ne reste que le
souvenir d’un gendarme désobéissant, sinon résistant du maquis. Est-ce
voulu ? D’un côté, il meurt alors qu’il n’appartient plus à la
gendarmerie loin des combats de la Libération, tant mis sous le feu des
projecteurs. De l’autre, des gendarmes déserteurs affirmés et résistants
reconnus, abattus dans des maquis avant les combats de l’été 1944,
laissent un souvenir plus vivace que lui. De même, un gendarme retraité
créateur d’un maquis local est signalé dans divers rapports de
l’institution. Mais, il n’est pas mort… Enfin, le cas Engel ne simplifie
pas les rouages mémoriels manichéens : le dissident de 1943 est
collaborateur en 1944. Les morts de huit gendarmes sont plongées dans
l’oubli. Les conditions et la chronologie de cette mortalité permettent
de déceler la complexité à laquelle est confrontée cette force de
l’ordre durant l’Occupation. « Être mort, c’est être en proie aux
vivants » : ce ne sont pas tant ces morts que l’institution veut oublier que leurs auteurs maquisards.

Conclusion

La mort de quarante-quatre gendarmes bourguignons sous l’Occupation
représente approximativement 4 % du total national de l’institution sur
cette période 1939.

Ce pourcentage, qui représente la moyenne schématique pour la vingtaine
des régions françaises, ne permet pas d’assertion tranchée. En grande
majorité, les gendarmes de Bourgogne meurent face aux troupes allemandes
aux côtés des maquis, dans les combats de l’été 1944. Une minorité
tombe sous les balles maquisardes (un homme sur quatre). Vu sous cet
angle, la mortalité atteste d’une gendarmerie composée essentiellement
d’hommes en faveur de la Résistance. Il faut pourtant nuancer.D’un côté,
la disparition de plus d’une trentaine de gendarmes aux côtés des
maquis ne permet pas de déterminer qu’il s’agisse d’autant de
résistants. Il ne faut pas négliger le fait que la plupart des gendarmes
bourguignons qui rejoignent le maquis à l’été 1944 suivent
scrupuleusement un ordre de désertion de leur hiérarchie : le 15 août
1944, tous les gendarmes de la région reçoivent l’ordre de déserter et
de rejoindre les rangs du maquis40.

Si certains désertent par conviction résistante, beaucoup abandonnent ce
jour-là leur poste parce qu’il s’agit d’un ordre. Ainsi, mourir aux
maquis est pour certains la funeste conséquence d’un geste initialement
légaliste, avant d’être résistant. De l’autre, le meurtre d’un gendarme
par le maquis ne prouve pas qu’il fût un collaborateur. Si un officier
et trois gradés sont exécutés de manière planifiée, quatre autres
gendarmes sont victimes de rencontres qui tournent mal ; si un gendarme
est fusillé pour trahison contre le maquis, un autre est tué
accidentellement par des camarades maquisards.

Il y a encore plus complexe : si le maréchal des logis-chef P. Ménétrier est abattu dans
les rangs d’un maquis les armes à la main contre l’occupant, quelques
semaines auparavant d’autres maquisards tentent de venir l’exécuter à sa
brigade de Pontailler-sur-Saône, sur l’ordre d’un chef FTP local41.
Cette tentative d’assassinat ne signifie pas indubitablement que ce
gendarme ait été un collaborateur, mais plutôt qu’il a été perçu comme
tel. Encore une fois, le gradé commandant la brigade est la cible du
maquis... Il ne faut pas isoler cet exemple, encore moins le
généraliser, mais simplement signaler que la mort et sa mémoire ne
représentent pas l’ensemble des actes d’un gendarme sous l’Occupation.

Par conséquent, le nombre de morts peut encore moins justifier d’une
position résistante de la gendarmerie.La statistique la plus éloquente
reste finalement la suivante : quarante et un décès sont liés aux maquis
dans la région, soit près de 95 % de cette mortalité. Si un officier et
huit gendarmes sont abattus par des maquis, il faut leur ajouter trente
gendarmes morts avec les maquis dans les combats de la Libération,
ainsi que deux déportés liés aux maquis. Une critique peut être émise :
la densité maquisarde de la région, notamment dans le Morvan42, influe sur cette conclusion. Moins de maquis signifierait-il moins de gendarmes morts ?43

La mort des gendarmes bourguignons se lit moins dans une logique
résistante qu’elle ne se tisse dans ce que nous pourrions décrire comme
une trame maquisarde.La mémoire impose néanmoins son dogme. L’oubli – ou non – des victimes est un formidable outil de lissage pour l’institution aux lendemains de la guerre, tant
sur le court terme de l’épuration que sur un temps plus long d’une
construction corporative panégyrique.

A la surexposition d’une effigie de la victime du gendarme-maquisard, talon fédérateur à l’échelon local,
se conjugue ensuite une mosaïque de morts floues, qui éclipsent
subtilement d’autres plus complexes et ambivalentes. « La gendarmerie a
capitalisé ‘le meilleur’ d’une mémoire de guerre »44.

Les gendarmes sont soit des victimes de leurs actes (laissant une
empreinte nominative architecturale) soit des victimes de la guerre
(statistique et informe). Ces derniers sont ceux tués sous les bombes,
déportés sans liens aux maquis, agents zélés assassinés par des maquis
ou enfin simples gendarmes abattus en service. L’officier Barthuet est
présenté comme seul coupable.La seule dignité en ce siècle est
d’appartenir au camp des victimes. Celui qui a survécu sans être une
victime échappe et à la mort et à la dignité.

La légitimité de la gendarmerie française après l’Occupation nécessite
d’avoir des victimes. L’institution ne falsifie rien de son passé, elle
le lisse en s’érigeant une mémoire de victime. Cette expiation
institutionnelle génère un renversement de perspective. En un sens, ces
corps sont paradoxalement victimes de la mémoire de leur corps.

ARTICLE DE Emmanuel Chevet
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MessageSujet: Re: La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944)   La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944) I_icon_minitimeMer 03 Juil 2013, 10:09

Très intéressant, enfin une analyse qui semble objective et qui sort du mythe des gendarmes tous resistant ou tous pourris.
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MessageSujet: Re: La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944)   La mortalité gendarmique sous l’Occupation (1940-1944) I_icon_minitimeMer 03 Juil 2013, 14:56

très intéresant :D .on sera quoi répondre a ceux qui nous dise quond et collabo Crying or Very sad dans les reconstitution.

merci pour ces info :D 

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